Notre premier invité, Pierre-Antoine PRECIGOUT

Titulaire de l' agrégation de biologie
Doctorant (agro-écologie)
Institut National de Recherche Agronomique Versailles - Grignon

"J'ai gardé des années où je partais en vacances avec mes parents peu d'habitudes, l'une d'elles étant de ne jamais faire le voyage sans une pause au moins, à l'aller ou au retour. Cette pause était l'excuse pour découvrir une nouvelle région qui se trouvait sur notre route, bien que nous n'ayons pour cela qu'une fin d'après-midi et quelques heures fraiches de matinée. C'est ainsi que, cet été 2015, revenant d'un séjour pyrénéen, ma camarade naturaliste et moi-même avons fait une courte halte au nord-ouest des Monts du Cantal, zone reconnue pour sa richesse en rapaces diurnes. Il faut dire que l'Ardèche ne nous avait pas gâtés du point de vue des oiseaux de proie, sans doute à cause des récurrents orages qui avaient limité nos promenades. Mais nous ne pensions pas, ce 7 août au soir en nous perdant dans les déviations entre Bort-les-Orgues et Saignes, que nous découvririons la nuit-même et le lendemain un petit bijou de nature tel que celui-ci.

Pierres et laves...

Nos pas nous ont ainsi conduits dans le petit village d'Auzers, construit au flanc d'un impressionnant plateau basaltique appartenant au complexe volcanique du Cantal. Dès l'entrée du village par l'ouest, le talus de la route départementale offre sur la gauche un superbe affleurement de brèches pyroclastiques recouvertes en discordance par les basaltes en question. Un rapide coup d'oeil à la carte géologique de Mauriac
(1/50 000) sur laquelle se trouve Auzers permet de se rendre compte de la diversité des terrains que couvre la commune. Même si le relief est dominé par le volcanisme, des écailles de socle hercynien apparaissent de-ci de-là, le tout recouvert par des argiles variées, parfois calcaires, du miocène qui occupent les fonds de vallée. Voilà qui promet une diversité végétale certaine !
Mal renseignés sur l'adresse de nos hôtes (au diable les GPS), nous faisons un rapide tour du village à notre arrivée. Pavés et pierres de taille en lave nous accueillent tout autour de l'église: bienvenue au pays des volcans !

Sous le ciel étoilé...

Nous trouvons notre chemin finalement assez vite et posons bagages. Le soir tombe maintenant tout doucement sur le jardin du presbytère où nous dînons cernés de vol des Sphinx colibris. Curieux d'en savoir plus sur ces campagnes que nous avons traversées, nous questionnons nos hôtes, intarissables sur le sujet. Je retiens notamment l'histoire d'un crapaud accoucheur aventureux ayant élu domicile sous le perron, et devenu spécialiste en tapage nocturne anti-visiteurs urbains. Rares sont les endroits que j'ai visités où cette espèce vit si proche des habitations. Le repas s'achève sous un superbe ciel étoilé, que peu de lumière trouble sur l'horizon. La nuit résonne des cris de l'Effraie des clochers et de la Chevêche d'Athéna très active dans le pré en contre-bas, respectivement les témoins d'un habitat traditionnel relativement conservé et de la présence non loin de vergers en bonne santé. Un rapide coup d'oeil aux étoiles filantes, quelques pas de danse puis nous allons nous coucher: le trajet du lendemain sera encore long.

Des papillons à l'aigle botté ?

Le lendemain en question était une belle journée d'été. Un impressionnant essaim de papillons (pas moins d'une dizaine d'espèces) s'affairait autour du buddleia voisin et se chauffait les ailes sur le mur du jardin tandis que la chaleur commençait déjà à s'installer. Après un petit-déjeuner à l'ombre des poiriers, nous partons faire une promenade sur le plateau à la rencontre des Milans. Ceux-ci ne se font pas attendre: à peine sortis du village sur la route du Mas, nous sommes survolés par cinq oiseaux profitant d'une colonne ascensionnelle pour s'élever sans trop d'effort. Ce sont cinq Milans noirs, bientôt rejoints par trois Buses variables. D'autres rapaces arrivent mais l'ensemble s'éloigne vers l'ouest et il devient difficile de les suivre aux jumelles. L'un d'eux est particulièrement contrasté avec un corps clair mais des mains et rémiges sombres; Aigle botté ? Il est malheureusement trop loin  pour le vérifier.

La fougère aigle au Troumelou...

Nous continuons notre route vers le Mas, en regardant sur les côtés la végétation de sol acide que nous rencontrons. Effarouchant un Tarier pâtre et un Pic épeiche, nous prenons vers le Nord pour rejoindre la route qui relie la Ribbe à Varleix pour revenir vers le village. Nous notons le long de la route quelques spots de plantes calcicoles; vestiges de l'amendement des sols à la chaux ? Après avoir longé un petit bois sur notre droite, nous parvenons à une sorte de point culminant local sur le plateau. Sans même avoir connaissance de la carte géologique, la différence de végétation particulièrement marquée témoigne d'une géologie de surface particulière à cet endroit. En effet, le petit bois riche en conifères se prolonge par des étendues de Fougère aigle, qui occupent une surface trés limitée sur ce plateau. Nous n'en avions pas encore vu lors de la promenade, et n'en verrons plus sur le chemin du retour. La Fougère aigle n'aime pas les sols calcaires, même si une forme "naine" se rencontre sur divers placages sableux, littoraux par exemple. Une répartition aussi tranchée laisserait supposer des sols de nature assez différente là où la fougère est présente et absente, spécialement un sol plus riche en calcium là où elle est absente. En se reportant à nouveau à la carte géologique de Mauriac, l'on peut se rendre compte qu'à cet endroit précis du plateau, un pointement de basalte "potassique d'âge pontien" recoupe les basaltes "alcalins sodiques" qui constituent le reste du plateau, coïncidant avec la différence observée dans la végétation. Néanmoins, les analyses chimiques détaillées dans la notice de la carte, même si elles montrent que l'intrusion est plus pauvre en calcium que l'encaissant (annexes 8 et 19) indique une différence assez faible au niveau de l'élément calcium.

Des rencontres ornithologiques nombreuses et...les milans !

Nous dépassons le petit bois et nous arrêtons le long du chemin pour regarder de jeunes Pie-grièches, volant de piquets en piquets sur les clôtures. Sur notre droite, sortant du bois, déboule un rapace de la taille d'une buse, au dessous clair fortement rayé de noir avec une petite tête plus sombre. C'est une Bondrée apivore ! Ce rapace diurne, grand consommateur d'abeilles, se rencontre dans des milieux habituellement plus fermés. Il nous fait néanmoins le plaisir de se laisser (brièvement) observer. Au loin, perché sur un fil électrique, nous repèrons un oiseau dont l'allure puis les couleurs (aux jumelles) nous laissent perplexes. Nous restons cinq bonnes minutes à le regarder sans pouvoir nous décider. Finalement, enjambant les clôtures, nous tentons de nous en approcher. Il s'agit ni plus ni moins que d'un (jeune ?) Loriot d'Europe, aux superbes couleurs vert-jaune et noire. Ce passereau de grande taille quitte rarement le couvert des arbres ou l'intérieur des haies, et il n'est vraiment pas habituel de le voir ainsi perché en milieu ouvert en plein mois d'août... C'est donc une chance de l'observer ! Voilà donc deux jolies surprises en quelques mètres ! Mais pour l'instant, pas un seul Milan royal n'est venu s'ajouter à notre liste, certes déjà longue, de rencontres ornithologiques. Tandis que nous taquinons notre hôte à ce sujet, pour nous faire mentir, trois superbes individus nous survolent, évitant même le contre-jour et nous laissant admirer leurs superbes nuances ventrales. Peu farouches, ils planent ainsi pendant quelques minutes pour notre plus grand plaisir, avant de s'éloigner doucement vers le bois. Un peu plus loin, deux autres Milans royaux survolent les pâturages et disparaissent eux aussi de l'autre côté du plateau.
Après cette promenade riche en observations, un coup d'oeil au cadran solaire et quelques pas rapides autour du château, nous nous apprêtons à reprendre la route, remarquant que finalement le Cantal n'est qu'à quelques heures de voiture, et qu'y revenir armés d'une longue-vue et d'appareils photos promettait de bons moments en compagnie d'une nature préservée ! "

Texte reçu le 14/12/2015 et publié le 10/01/2016