Notre troisième invité, Serge Lochot - Docteur en Histoire

Une chapelle «républicaine» à Auzers ?

Il existe sur le territoire de la commune d’Auzers, au lieu-dit «Le Mont», un curieux édifice – appartenant à la famille Giraud – une bâtisse en pierres d’Auvergne que rien ne distingue pourtant, extérieurement, des autres constructions vernaculaires avoisinantes. Le passant peut y voir une grange ou tout autre bâtiment de ferme comme il en existe dans tous les villages. Mais s’il franchit les deux portes à battants ouvertes, en foulant le sol de terre battue, le passant aperçoit sur le mur qui fait face à l’entrée un décor coloré et en relief. En s’approchant, il distingue nettement, au centre, des décors de cocardes et de drapés bleu, blanc, rouge et, sur les côtés, des bas-reliefs en forme de colonne et ressemblant à des faisceaux de licteurs, l’ensemble disposé à la manière du choeur d’une église.

Les couleurs, les représentations en relief sont empreintes de symbolique révolutionnaire:
les trois couleurs du drapeau national évidemment, mais également ces faisceaux de licteurs que l’on retrouve fréquemment dans l’iconographie de la Révolution française, en référence à la République romaine, inspiratrice, comme l’ensemble de la période antique, des acteurs et penseurs de la période révolutionnaire (le bonnet phrygien porté par les sans-culottes était ainsi inspiré lui-même du bonnet qui coiffait les esclaves grecs affranchis).

Le décor étant planté, essayons de trouver une explication à la présence de ce bâtiment pour le moins atypique…

Contraints de réorganiser le fonctionnement de l'Église catholique en France, du fait de la suppression, durant l’été 1789, de la dîme et de la confiscation des biens du clergé, les députés de l’Assemblée Constituante votent le projet de Constitution civile du clergé le 12 juillet 1790.
Parmi les nombreuses mesures envisagées figure l’élection par les fidèles des évêques et des prêtres, désormais rétribués par l’État; devenus fonctionnaires, les membres du clergé ont
également l’obligation de lire et commenter les décrets de l'assemblée pendant la messe paroissiale du dimanche. Le 27 novembre 1790, l'Assemblée exige de tous les évêques et les curés qu'ils prêtent le serment de fidélité «à la nation, à la loi, au roi». Les prestations de serment se déroulent en janvier et en février 1791. Le pays se divise alors en deux clergés: d’un côté, les prêtres réfractaires qui refusent de prêter le serment et, de l’autre, les prêtres constitutionnels, appelés aussi assermentés ou encore jureurs, qui jurent fidélité à la Constitution civile du clergé.
Dans son ouvrage référence sur la Constitution civile du clergé (La Révolution, l'Église, la France. Paris: Éditions Cerf, 1986), l’historien Timothy Tackett note que la proportion de réfractaires varie en fonction de la hiérarchie ecclésiastique (sept évêques sur quatre vingt deux et la moitié des curés prêtent serment) et de la géographie (les régions périphériques comptent davantage de réfractaires que Paris et les régions du centre).
Suivant l'opinion de leurs prêtres, les fidèles se divisent. Certains soutiennent les constitutionnels tandis que dans d’autres régions, comme dans l’ouest de la France, un culte clandestin assuré par des prêtres réfractaires s’organise: la population refusant d'accueillir le curé élu, l’oblige souvent par des menaces et des actions violentes, à renoncer à exercer son ministère dans la paroisse. Cette situation perdurera jusqu’en 1802, date de la signature du Concordat entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII qui rétablira la paix religieuse.

On peut donc imaginer que dans une région profondément catholique, des prêtres constitutionnels aient été contraints de se cacher pour exercer le culte tel que le prescrivait la Constitution civile du clergé et aient aménagé en chapelle cette grange discrète située à l’écart des zones de passage. Mais ceci n’est qu’une hypothèse. Dans la mémoire collective, on parle de chapelle « républicaine»… Selon des témoignages, un clocheton qui figurait au faîte du toit, au dessus de l’entrée, aurait été remplacé, il y a quelques années (sans plus de précision), par une arête de toit classique. Existe-t-il des photographies anciennes de la bâtisse (intérieur et extérieur)? Des sondages effectués sur les types de peintures utilisées pour les décors pourraient permettre de dater avec plus de précision le lieu et peut-être confirmer son origine «révolutionnaire»? Par ailleurs, une enquête de terrain, menée auprès des habitants, ainsi que des recherches dans les archives communales et départementales, devraient sans doute apporter des éléments concernant l’histoire de ce lieu, élément précieux et singulier du patrimoine auzérois.

Serge Lochot
Docteur en Histoire - Université de Bourgogne
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